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01/03/2011

Il pleut sur l'arroseur

Semée au début des années 80, l'individualisation des relations de travail a prospéré aussi rapidement qu'un plant d'OGM dans la plaine alluvionaire de la Garonne. Objectifs individuels, augmentations individuelles, missions spécifiques, entretiens individuels, droit individuel à la formation, négociations individuelles des départs, compétences individuelles...le collectif a peu à peu disparu du paysage, sous couvert d'une reconnaissance de l'individu placé au centre. Au centre de quoi ? assez souvent de la gestion de situations que l'organisation ne sait plus traiter et qu'elle renvoie vers le dernier maillon, le salarié, dont on s'étonne ensuite qu'il puisse être faible. Le droit du travail n'a pas échappé, pourquoi l'aurait-il fait ?, à ce mouvement. La promotion du contrat de travail et sa capacité de résistance à la règle collective en est la marque. Les juges viennent d'en administrer une nouvelle preuve, qui pourrait bien faire des thuriféraires du management individualisé des arroseurs arrosés.

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Par deux décisions rendues le 19 janvier 2011 (Cass. soc., 1 ; Cass. soc., 2), la Cour de cassation vient de condamner pour discrimination syndicale des entreprises qui n'avaient pas organisé d'entretien individuel pour des représentants du personnel et, pour l'un d'entre eux, avaient réduit son accès à la formation. De technique manageriale, l'entretien individuel devient ainsi un droit pour le salarié, même pour celui qui n'exerce pas d'activité du fait de ses mandats. De quoi parler ? de ses compétences, de sa capacité à reprendre une activité, de sa situation comparée au sein de l'entreprise, de sa carrière, etc. Pas de son mandat ni de sa performance. Mais il reste de quoi faire. Gérard-Lyon Caen avait écrit il y a quelques années un opuscule intitulé "Le droit du travail, une technique réversible". Il y démontrait le passage d'un droit protecteur du salarié à une technique de management. Et bien voilà que le juge se met à faire exactement l'inverse.

11/02/2011

Société du contrat

Près d'un tiers des familles sont des familles recomposées. Corrélativement, le nombre de mariages et de PACS ne cesse d'augmenter. Et alors ? alors on peut y voir un signe que notre société évolue de la norme de l'institution vers celle du contrat. Tout étudiant en droit apprend que le mariage a une double nature. Celle d'institution, le mariage ayant un régime préétabli auquel on adhère, et celle de contrat, l'adhésion s'effectuant par une double volonté, expresse et commune. Il ne s'agit donc pas d'un contrat dont les termes sont librement définis et dont on pourrait revisiter à loisir le contenu, mais d'une adhésion contractuelle à une institution. Le contrat de mariage ne règle d'ailleurs que les questions financières, il ne définit pas le mode de relations entre époux qui sont déterminées par la loi et non négociables, au moins au plan juridique. Il est dès lors logique que si, entre les conjoints, la dimension contractuelle prend le pas sur l'institution, le nombre de ruptures ne peut qu'augmenter. Et à l'évidence, la dimension institutionnelle du mariage se perd au profit de sa dimension plus contractuelle. Comme Eros et Psyché s'opposèrent à la colère des Dieux pour faire prévaloir leur amour interdit.

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François Picot - Eros et Psyché - 1817

Si ce bouleversement a lieu dans la vie privée, il ne peut être absent de la vie publique et de la vie sociale. Et lorsque l'on parle du déclin des institutions (Eglise, Armée, Ecole, Entreprise, Etat,...) il s'agit sans doute moins d'un rejet global que d'une demande d'évolution de la relation, d'une contestation de l'autorité descendante, de l'organisation pyramidale, de la prescription sans explication, de la vérité hiérarchiquement et institutionnellement établie, bref d'un certain ordre social. Et d'une demande, quel que soit son rang, sa place et sa fonction, a être traité sur un plan égalitaire dont la traduction est la relation contractuelle. Or, l'institution est un repère simple à la pratique aisée, puisque tout est prédéterminé, alors que le contrat suppose de renégocier régulièrement, de partager le pouvoir, de voir redéfinie sa légitimité, de n'avoir comme acquis que sa capacité de persuasion, de considérer que tout compromis n'est pas de la compromission, de ne plus aborder les problèmes en terme de tort/raison mais de solution à construire, etc. Bref, le contrat est d'une pratique plus coriace que l'institution. Le paradoxe est que l'institution contestée est aussi recherchée pour la protection qu'elle offre : étant prédéfinie, elle offre des garanties à qui ne peut ou ne sait négocier et sa stabilité peut rassurer. On aura compris que la question n'est pas d'opposer l'institution au contrat, mais de faire évoluer celle-ci pour laisser plus de place à celui-là.

03/02/2011

Un transitoire qui dure

La loi du 20 août 2008 sur la démocratie sociale rebat totalement les cartes de la représentativité syndicale. Pour résumer, la représentativité résulte désormais des résultats des élections professionnelles et non d'une reconnaissance étatique ou judiciaire. Retour à la démocratie représentative donc, et enjeux nouveaux pour les élections professionnelles, avec son cortège de tensions et de contentieux. Au fil de ce dernier, les tribunaux construisent le mode d'emploi des règles nouvelles. Dans une décision du 19 janvier 2011, rendue sous présidence toulousaine que je salue, la Cour de cassation prend une décision audacieuse au regard des textes mais soucieuse de la préservation d'une représentation des salariés. La loi du 20 août 2008 prévoit que les organisations syndicales représentatives au niveau national peuvent continuer à désigner des délégués syndicaux dans l'attente des premières élections postérieures à la loi. Ensuite, seules les organisations ayant obtenu au moins 10 % des voix peuvent désigner un délégué syndical, sous réserve qu'il ait lui même obtenu 10 % et donc, par définition, été candidat. Dans le cas d'espèce, l'entreprise avait organisé des élections sans qu'aucune organisation syndicale ne présente de candidat. Elle avait dressé constat de carence et conclu qu'aucune organisation n'était représentative. A tort lui répond la Cour de cassation rebelle. En l'absence de candidature, il est impossible de mesurer l'audience des syndicats et les règles transitoires doivent être prolongées jusqu'à la prochaine élection. Voici donc du transitoire qui dure, de même que Marc Desgranchamps est un peintre du transitoire en mouvement.

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Marc Desgrandchamps - Sans titre - 2007

Le résultat pratique de la décision du 19 janvier 2011 est que des organisations syndicales représentatives à la date de publication de la loi du 20 août 2008 peuvent continuer à désigner des délégués syndicaux qui pourront négocier des accords lesquels, faute de représentativité établie par l'élection, devront être ratifiés par référendum. On comprend le souci de la Cour de cassation : en l'absence de syndicats, tous les accords devenaient caducs faute de pouvoir être renégociés (la disparition de tous les syndicats équivaut en effet à une dénonciation des accords) et aucun accord ne pouvait plus être conclu avant les nouvelles élections.

Cet objectif d'intérêt général l'a emporté sur une lecture littérale du texte qui ne prévoit pas que l'on attende la deuxième élection en cas de carence. Saluons donc cette décision ainsi que la présidente toulousaine qui la suscita.

01/02/2011

Enfin des femmes incompétentes !

Trouver des hommes incompétents dans un Conseil d’administration n’est pas très compliqué. Des femmes c’est beaucoup plus difficile. La loi des grands nombres dans un premier temps et les implacables statistiques. Le nombre d’incompétents est forcément plus élevé parmi 92 % d’une population que parmi 8 %. Et puis l’analyse qualitative. Pour parvenir à être nommée au sein d’une tribu endogamique qui ne coopte que ce qui lui ressemble, une femme doit témoigner de capacités bien supérieures à la moyenne du premier administrateur homogène venu. Si le nombre de femmes incompétentes va augmenter dans les conseils d’administration, c’est que la loi du 27 janvier 2011 impose un quota de 40 % au moins de personne de chaque sexe dans les conseils d’administration des entreprises de 500 salariés et plus. Voilà une des échelles destinées à transformer le plafond de verre en plancher des vaches.

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Andrew Benyei - Snakers et ladders - 2007

Certes, la loi a quelques timidités.  Par exemple, l’obligation ne s’appliquera qu’en 2017. L’Espagne a voté la même loi en 2007 qui s’appliquera en 2015 : Zapatero ne sera sans doute plus au pouvoir mais il aura toujours un coup d’avance. Ou encore, les délibérations prises par un conseil d’administration illicite ne seront pas remises en cause au nom de la sécurité des affaires. Le législateur a trouvé une autre forme de sanction : leurs rémunérations ne seront plus versées aux administrateurs si le quota de femmes n’est pas atteint. Par contre, ils toucheront le pactole rétroactivement dès que la loi sera respectée. Le législateur a tout de même mauvais esprit de considérer que les mâles administrateurs pourraient ne pas être motivés par l’objectif d’intérêt général mais uniquement par le fait de toucher leur argent. Il n’y a pas à dire, la beauté du geste se perd. Vive les femmes incompétentes et les actes gratuits !

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31/01/2011

Quand la GPEC sert à quelque chose

L'entreprise connaît une restructuration. Elle signe un accord de GPEC dont le but est de mettre en oeuvre le choix de la restructuration qui est présentée comme une obligation incontournable. En l'occurence, l'accord indique que les situations individuelles seront prises en considération et que les salariés qui le souhaitent seront accompagnés pour changer de fonction. Questionnée par l'employeur une salariée exprime son choix de ne pas en changer, de fonction. L'employeur ne s'y oppose pas, mais modifie  pourtant unilatéralement les fonctions de la salariée, avant de lui imposer la signature d'un avenant à son contrat de travail. Saisissant l'occasion ainsi fournie, la salariée quitte l'entreprise et prend acte de la rupture de son contrat de travail. Le Conseil des prud'hommes puis la Cour d'appel de Dijon lui donnent raison : l'employeur n'ayant pas respecté les termes de l'accord de GPEC qu'il a signé, il en résulte un comportement déloyal et une rupture du contrat de travail à ses torts exclusifs.

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Gael Chapo - Trahison n° 23 - 2006

La lecture des accords de GPEC laisse souvent dubitatif : condensé de déclarations d'intentions, de processus ressources humaines et d'actions manageriales, sa portée juridique n'est guère évidente. Relevant de la catégorie du droit mou, l'accord de GPEC fait souvent figure d'objet juridique non identifié. Rendons grâce au juge de transformer la prose gestionnaire en engagement juridique sanctionnable. Et de la manière la plus spectaculaire qui soit puisque le manquement aux engagements de l'accord permet à un salarié  de prendre acte de la rupture aux torts de l'employeur (dans le cas d'espèce, six mois de salaire sont attribués à la salariée). On imagine la situation si tous les salariés se mettent à rechercher dans les accords seniors, travailleurs handicapés, égalité professionnelle, GPEC donc et autres, les arguments qui leur permettront de rejouer cette version moderne de "Prends l'oseille et tire toi" ou si l'on préfère le vénérable Jean de Lafontaine : "Vous avez signé, et bien exécutez maintenant". La semaine ne sera pas de trop pour que chacun se plonge dans les dits accords pour voir ce qu'ils recèlent d'opportunité. Bonne lecture !

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27/01/2011

Fermeture démotivée

Pour procéder à un licenciement, il faut un motif. Et pour procéder à un licenciement économique, il faut un motif économique. Le Code du travail en prévoit deux : les difficultés économiques et les mutations technologiques. La jurisprudence en a rajouté deux : la sauvegarde de la compétitivité, qui doit être justifiée par des causes externes et la cessation d'activité. Ce dernier motif, entièrement construit par la Cour de cassation, repose sur le fondement de la liberté de gestion : aucun employeur ne peut être obligé de poursuivre indéfiniment son activité, ne serait-ce que lorsqu'il part à la retraite. La Cour de cassation ne sanctionnait que les abus de droit : l'employeur qui organise sa propre insolvabilité ou la fermeture pour recréer la même activité sans reprendre les mêmes salariés. Dans une décision du 18 janvier 2011, les juges durcissent leur position et décident que lorsque l'entreprise qui cesse son activité appartient à un groupe, elle doit justifier d'une cause économique, la fermeture ne pouvant constituer à ellel seule un tel motif.

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Gilles Tran - Fermeture - 2003

Dans les groupes, le contournement des règles du licenciement économique peut prendre plusieurs formes : filialisation d'une activité dont on veut se séparer avant fermeture, ou avant vente, émiettement des activités dans des structures de petites tailles pour échapper aux obligations du PSE, etc. Les juges ont toujours eu le souci de permettre l'application du droit du travail quelle que soit la structuration juridique du groupe. L'arrêt du 18 janvier 2011 s'inscrit dans cette préoccupation. Il n'empêchera pas, toutefois, à des groupes de rechercher des chevaliers blancs situés à l'étranger pour reprendre une activité qu'ils fermeront ensuite. Paranoïa ? demandez aux ex-salariés toulousains du papetier Job, ils auront peut être une idée sur la question.

26/01/2011

En mariage trompe qui peut

L'adage est de Loysel, c'est un classique juridique. Il signifie que le mariage ne peut être annulé que pour erreur ou violence mais pas pour dol, la séduction ne se parant pas toujours des atours de la vérité. Leur culture juridique a conduit les juges à étendre ce principe au recrutement : il est admis que tant l'entreprise que le candidat se présentent sous leur meilleur jour qui n'est pas toujours leur quotidien. Reste, comme toujours en matière juridique, à déterminer où passe la frontière et jusqu'où il est permis d'enjoliver la réalité.

La Cour d'appel de Lyon (CA Lyon 25 juin 2010, publiée dans la Revue de Jurisprudence Sociale de Janvier 2011) vient de rappeler à l'ordre un salarié ayant fait état d'un BTS qu'il n'avait pas acquis et d'unité de valeur du CNAM qu'il n'avait pas passé. L'employeur, une banque en l'occurence dont la vertu est une qualité première comme chacun sait, avait découvert le mensonge lors d'une proposition d'évolution qui supposait le suivi d'une formation nécessitant les diplômes supposés acquis et qui n'ont pu être produits. S'en suivit un licenciement pour faute grave validé par les tribunaux. Les foudres de la vérité sortant du puit avec son martinet pour châtier l'humanité se sont donc abbatues sur l'imprudent salarié.

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Jean-Léon Gérome - Vérité sortant du puit avec son martinet pour châtier l'humanité - 1896

Ainsi pourrait on penser que se trouvent réconciliés droit et morale par le surgissement de la vérité, dont on avouera tout de même qu'elle suscite plus d'effroi que d'éblouissement.

Le problème est que cet arrêt, qui n'a pas fait l'objet de pourvoi, n'aurait pas nécessairement été validé par la Cour de cassation. Pour deux raisons. La première est que la Cour estime que lorsqu'une information est fournie lors d'un recrutement et qu'elle est vérifiable, si l'employeur ne la vérifie pas c'est qu'elle n'entre pas dans sa décision. Or les diplômes (parchemin) et les expériences professionnelles (certificat de travail) sont vérifiables. La deuxième raison est que la banque invoquait l'impossibilité de confier la gestion du patrimoine des clients à quelqu'un dont l'honnêteté et la loyauté n'étaient pas irréprochables. Et l'on voir ressurgir la bonne vieille perte de confiance que la Cour de cassation n'admet plus depuis longtemps car elle revient à licencier sur la base d'un risque et non d'un fait. Bref, voici une décision de Cour d'appel qui pouvait paraître évidente mais qui ne l'est guère. Le salarié ne méritait peut être pas le martinet d'une vérité qui ressemble un peu trop à un père fouettard.

25/01/2011

De l'inégalité des diplômes

La Cour de cassation poursuit, en ce début d'année, la saga du diplôme comme élément licite, ou non, de différenciation des salaires. En clair, peut-on payer différemment deux salariés qui font le même travail  uniquement parce qu'ils n'ont pas le même diplôme ? La Cour de cassation a déjà répondu positivement à cette question si les diplômes détenus par les salariés sont de niveaux différents. Elle fait aujourd'hui évoluer cette position : une différence de diplôme ne justifie une différence de traitement que s'il est démontré l'utilité particulière des connaissances acquises au regard des fonctions exercées (Cass. soc., 11 janvier 2011). Diplômé en droit, Kandinsky ne peut donc valoriser ses diplômes dans son activité de peintre.

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Vassily Kandinsky - Composition IV

Cette décision a le mérite de revenir à une interprétation plus stricte du principe "Travail égal, salaire égal". S'il est possible de valoriser un niveau de diplôme, c'est à condition que celui-ci ait un lien avec l'activité. A défaut, disposer d'un diplôme  ne vaut pas brevet général de compétences.

La portée de cette décision n'est pas mineure puisque, si elle est confirmée, elle mettra à mal les politiques de rémunération mais également les conventions collectives, qui font une différence entre les diplômes uniquement en fonction de leur niveau ou de l'école dans laquelle ils ont été préparé alors que les juges nous demandent de vérifier son utilité par rapport au travail exercé.

Si le juge voulait s'auto-alimenter en contentieux, il ne s'y prendrait pas d'une autre manière. Voilà une profession que le chômage ne guette guère.

18/01/2011

Pas d'essai pour la neige

L'hôtelier est rompu à l'usage des contrats saisonniers. Il en a encore conclu plusieurs pour la saison, dont un avec une serveuse embauchée le 1er janvier avec une période d'essai de dix jours. Le 8 janvier, la neige ayant déserté, et les clients avec, la station de sports d'hiver, il est mis fin par l'hôtelier à la période d'essai. Tempête judiciaire s'en suit : la salariée conteste la possibilité de rompre la période d'essai pour ce motif. Avec raison selon la Cour de cassation qui censure une décision qui n'est pas fondée sur un motif inhérent à la personne du salarié (Cass. soc., 10 décembre 2010). Tempête sous le crâne de l'employeur qui se demande comment il convenait de s'y prendre et pourquoi il ne peut pas librement rompre une période d'essai. Laissons passer la tempête de Turner avant de lui répondre.

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William Turner - Tempête de neige - 1842

Pourquoi n'est-il pas possible de rompre une période d'essai pour absence de neige ? parce que la période d'essai a pour seule finalité d'apprécier les compétences du salarié (C. trav., art. L. 1221-20) et qu'elle ne peut être rompue que pour ce motif à l'exclusion de tout autre. D'ailleurs, les règles relatives au licenciement ne peuvent s'appliquer pendant une période d'essai (C. trav., art. L. 1231-1).

Que convenait-il de faire ? si l'employeur voulait gérer l'aléa de la neige, il ne devait pas prévoir de période d'essai. Il aurait ainsi pu licencier pour un motif économique, au bout de huit jours. Ou bien, il devait proposer un CDD de courte durée, renouvelable. Ou encore, il devait attendre la fin de la période d'essai avant de licencier. Mais prévoir une période d'essai, signifie que l'on garantit l'emploi du salarié pendant cette période, sauf si son comportement s'avérait inapproprié avant le terme même de la période d'essai. Et voilà que l'on découvre que la période d'essai, loin d'être la période de totale précarité que l'on imagine souvent, est en fait une garantie d'emploi stable pendant l'essai pour pouvoir apprécier les compétences du salarié. En clair, avec la période d'essai, l'employeur annonce qu'il va prendre son temps pour apprécier le salarié et sécurise le contrat pendant ce laps de temps. Il n'est pas certain que cette définition juridique de l'essai soit exactement celle qui prédomine dans les représentations. C'est pourtant celle que les tribunaux semblent déterminés à faire prévaloir.

10/01/2011

Temps partiel peu avenant

Au cours des années 90, le temps partiel était considéré comme un outil de la politique de l'emploi et il convenait de l'encourager. Il fut d'ailleurs assorti d'exonérations de cotisations sociales : tout contrat était un emploi, serait-ce à temps partiel. Depuis le début des années 2000, changement de régime : considérant que le temps partiel était plus souvent subi que choisi, le législateur (en l'occurence la loi Aubry de janvier 2000 pour l'essentiel) fit le choix, jamais remis en cause depuis, de rendre plus strictes les règles relatives au travail à temps partiel pour ne pas en faire un outil de flexibilité du travail à disposition des entreprises. Ce renversement de perspective pris, on s'en doute, un certain temps avant d'entrer dans les moeurs. D'où l'occasion pour le juge de s'associer régulièrement à cette oeuvre de cantonnement du travail à temps partiel, qui pour être valide doit rester...partiel.

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Salvador Dali - Hallucination partielle

Dans une décision du 7 décembre 2010, la Cour de cassation décide que le régime des heures complémentaires doit s'appliquer à des heures de travail effectuées par un salarié à temps partiel en application d'un avenant prévoyant une augmentation temporaire de son temps de travail. On connait la manip : une embauche à temps partiel sur une base réduite et puis en fonction des besoins (surcroît d'activité, absence d'un salarié, ...) conclusion d'un avenant qui pendant quelques jours ou quelques semaines augmente le temps de travail. Ce détournement manifeste a déjà été sanctionné par le juge. En l'espèce, un élément supplémentaire est apporté dans la mesure où cette pratique était prévue par la convention collective (secteur de la propreté). Peu importe dit le juge, les règles du Code du travail sur le travail à temps partiel sont d'ordre public et une convention collective ne peut y déroger. Les heures effectuées dans le cadre de l'avenant constituent des heures complémentaires qui doivent donc être majorées à 25 % et doivent également être comptabilisées sur 12 mois et leur moyenne automatiquement ajoutée à la durée contractuelle de base. Rajoutons un risque supplémentaire, si l'avenant conduit à faire travailler le salarié à temps partiel à temps plein, serait-ce pendant une courte période, la requalification du contrat en contrat à temps plein pourrait également être demandée.

Il est donc désormais acquis que l'avenant qui augmente ponctuellement la durée du travail à temps partiel est illicite, indépendamment de la volonté du salarié ou des dispositions de la convention collective. Nouvelle occasion pour le juge de rappeler que le champ du négociable ne s'étend pas à l'infini mais qu'il est borné par les dispositions légales.

Petite remarque en forme de jeu : cherchez la logique qui veut que l'on encourage les heures supplémentaires et dissuade les heures complémentaires. Cadeau surprise à la clé !

 

04/01/2011

Déverouiller ? plutôt tirer le verrou

Pour se faire entendre au milieu de la neige, des trains perdus de la SNCF, des voitures un peu moins brûlées mais peut être pas et des faits divers qui constituent l’essentiel de l’actualité qui doit bien être meublée par ces temps de chômage galopant, bref si vous voulez émerger du brouhaha  médiatique, une seule recette : les 35 heures.

Gérard Longuet fut le premier à s’y essayer sous l’effet de la mauvaise conseillère qu’est la colère de n’avoir pas été nommé ministre. Frappant le premier, il n’a pas lésiné : l’euro ou les 35 heures il faut choisir. Jean-François Coppé s’est dit que sa nomination à la tête de l’UMP ne suffirait pas à faire le buzz et il a pris le relais un œil rivé sur l’audimat : avec l’air sérieux d’un futur candidat et le sourcil légèrement froncé il assure qu’il faudra bien y revenir. Et le dernier à s’y coller est Manuel Valls, qui veut déverouiller les 35 heures au nom de la compétitivité. Si l’horizon à atteindre est le coût du travail chinois, ce ne sont pas les deux à trois heures évoquées qui y suffiront. Mais sa proposition est si peu compréhensible (travailler plus au même prix pour augmenter le pouvoir d’achat : je dois avoir des lenteurs d’après réveillon, mais cela reste bien mystérieux en pratique) qu’elle masque mal que l’essentiel n’est pas là mais de faire la une des gazettes puisque jusque-là, et peut être même après, tout le monde se fichait de sa candidature à la candidature. Ne reste plus qu’à attendre la reprise du sujet par Sarkozy au prétexte stratégique que c’est clivant avec la gauche (entendez : ça fout le b…au PS).

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Fragonard - Le verrou - 1777

Tout le monde aura remarqué que ceux qui pourraient éventuellement se saisir du dossier, le Ministre du travail ou les partenaires sociaux, ont soit évité de relayer ce qui ne le mérite pas, soit répondu de manière technique, et clos le débat. En effet, les 35 heures c’est soit une question de droit du travail, et on voit mal comment la loi seule remettrait en cause les milliers d’accords collectifs conclus sur le sujet dont elle ne peut modifier de manière unilatérale une partie des dispositions sans allumer un gigantesque incendie social, soit une question d’exonérations de charges, et cela fait belle lurette que les exonérations ne sont plus liées à la réduction du temps de travail mais au niveau des salaires. Bref, beaucoup de bruit pour rien. Le problème est que nous ne sommes que le 4 janvier et que si le débat électoral de 2012, dont vous n’aurez pas la faiblesse de penser qu’il n’a pas déjà commencé, se poursuit sur ces bases, il ne restera qu’à prendre conseil auprès de Fragonard, à tirer le verrou plutôt qu’à déverouiller, et ouvrir le rideau de la vie privée pour éviter le débat public. Bonne nuit !

24/12/2010

Histoire de la clause qui devint un piège

Le Code du travail ne traite pas de la clause de non-concurrence. Son régime est donc bâti par la pratique et régulé par la jurisprudence qui a, au fil des ans, posé les conditions à respecter pour que la clause de non-concurrence soit valide. Tout d'abord les juges ont exigé que la clause soit limitée dans le temps et dans l'espace. Ensuite ils ont vérifié si elle était bien indispensable à la protection des intérêts de l'entreprise : il ne peut y avoir de clause de non-concurrence que si l'activité exercée est concurrentielle et notamment si elle est en relation directe avec le produit fini, le service rendu ou le client, ce qui limite la portée des clauses pour les fonctions supports. Ils ont encore demandé à ce que le salarié ne soit pas privé d'exercer toute activité au regard de ses compétences et de sa qualification. Enfin ils ont exigé que la clause fasse l'objet d'une contrepartie financière. Et en 2007, la Cour de cassation a estimé que cette contrepartie devait être versée après la fin du contrat de travail et pendant toute la période de non-concurrence. Ainsi se refermait le piège sur les entreprises qui avaient prévu une indemnisation en cours de contrat.

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Jack Vettriano - Le piège à touriste

Il était fréquent, avant 2007 et encore après pour les étourdis, de prévoir qu'un complément de salaire serait versé pendant le contrat de travail pour payer par avance la non-concurrence et ne pas avoir à la rémunérer ensuite. Ce complément était souvent exprimé en pourcentage. Dès lors que la Cour de cassation exige, de manière soudaine, que l'indemnisation ait lieu après la rupture, se pose la question de la validité de ces clauses : pas de problème elles sont nulles. Mais si elles sont nulles, les sommes sont versées à tort et l'employeur peut en demander remboursement au salarié, ou tout au moins interrompre le paiement d'une clause sans objet. C'est ce qu'avait jugé une Cour d'appel. A tort nous indique la Cour de cassation soucieuse de verrouiller le piège sur les employeurs qui avaient cru s'acquitter un peu trop aisément d'une contrepartie (Cass. soc., 17 novembre 2010). Et voilà donc l'entreprise tenue de payer un complément de salaire qui a, selon l'argument de la Cour de cassation, le travail comme contrepartie et non la clause de non-concurrence nulle. La prévision est difficile surtout, selon Pierre Dac, quant elle concerne l'avenir et aussi quand elle concerne les revirements de jurisprudence.

23/12/2010

Un mal pour un bien

Maillol était peintre. Né à Banyuls, il pouvait difficilement résister à la lumière du Roussillon, à la douceur du soleil sur les vignes des collines qui ont constitué son premier terrain de jeu. Comme Céline ne vint à la littérature que passé 40 ans, Maillol attendit le même âge pour devenir sculpteur. Le fait déclenchant fut une maladie de l'oeil. La lumière n'irradiait plus de la même manière et la peinture devenait une entreprise difficile, même si Monet ou Matisse sont des contre-exemple. Mais à quoi bon les contre-exemples, c'est soi-même qui est en cause dans ces affaires et non les autres. Grâce à la maladie, si l'on peut dire, il est donc possible d'admirer aujourd'hui les trois graces.

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Les trois grâces photographiées par une catalane

Peut être l'article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale nous vaudra-t-il dans l'avenir quelques chefs d'oeuvre inattendus. Pourquoi ? parce que cet article modifie l'article L. 323-3-1 du Code de la sécurité sociale qui permet désormais, avec l'avis favorable du médecin traitant et du médecin conseil de la CPAM, de suivre des actions de formation, d'évaluation, d'accompagnement, d'information ou de bilan de compétences pendant un arrêt maladie et le tout sans perdre les indemnités journalières. Au passage, pour ceux qui considéraient que le DIF pendant un arrêt maladie n'était pas possible, voici une procédure tout à fait légale qui permet son exercice.

Quoi de plus normal ? la maladie n'est pas nécessairement invalidante et si elle empêche le travail elle n'empêche pas toujours la formation et lorsqu'elle est invalidante, il ne s'agit que d'une raison de plus pour anticiper un reclassement.Et il n'est pas exclu que pour nombre de cas, la possibilité de suivre une formation ait également une vocation thérapeutique.

Si la maladie n'est jamais souhaitable, et rarement souhaitée, voici qu'elle pourrait désormais receler des opportunités pour peu que l'on se saisisse de ce texte. Et qui sait, sur le chemin de la formation peut être verra-t-on surgir de manière improbable un clin d'oeil au malade de Maillol.

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21/12/2010

La preuve par le carnet

Carnet de bord, carnet de vol, carnet de voyage...garder trace ne date pas d'hier ni du totalitaire désir d'universelle et permanente traçabilité. Il est des traces de liberté et non de contrôle, de sublimation et non de fichage, de support de rêverie et non de suivi à la trace pour votre bien, forcément pour votre bien.

Cette manie du carnet se porte parfois sur le temps : aux livres de comptes qui permettent aux historiens de reconstituer le passé, aux journaux personnels qui livrent des éléments de biographie, se superposent parfois des petits agendas dans lesquels l'emploi du temps est scrupuleusement noté. Rendez-vous, activités exercées, lieux visités, tout prend place dans le carnet. Et un jour celui-ci est porté devant le juge à l'appui d'une demande d'heures supplémentaires : constatez par vous même monsieur le Président des heures de travail quotidiennement effectuées. Moins romantique que le carnet géographique des femmes de Corto Maltese peut être, mais pas moins probant.

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Sylvie Galas - Carnet de voyage de Corto Maltese

L'employeur n'y croyait guère : nul ne peut fabriquer artificiellement et unilatéralement une preuve. Le carnet ne peut valoir et fonder une demande. Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation (Cass. soc., 8 décembre 2010). Pour les juges, l'employeur a l'obligation de contrôler le temps de travail des salariés et la preuve s'en trouve donc partagée sur des bases différentes. Au salarié de rapporter par tout moyen, y compris l'agenda personnel ou son journal intime, la preuve de son temps travaillé, à l'entreprsie de fournir ses propres éléments. Et si elle est incapable de fournir quoi que ce soit, la victoire du petit carnet sera scellée.

Mais tout cela ne répond pas à LA question, PANDORA est-elle bien l'aventure et pourquoi Corto Maltese continue-t-il à la chercher alors qu'il l'a trouvée ?

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Arthur Rimbaud : "Arrivée de toujours, qui t'en iras partout"

20/12/2010

Rupture conventionnelle et transaction : halte au bluff !

Il se trouvera bien quelques avocats pour dire : "On vous l'avait bien dit !" et proclamer qu'il faut éviter la rupture conventionnelle et préférer la bonne transaction qui règle toutes vos affaires. Pourquoi ? parce que la Cour de cassation vient de juger le 15 décembre dernier qu'une rupture conventionnelle ne peut interdire au salarié d'intenter une action en justice contre son employeur. Ce dernier avait pourtant pris la précaution d'indiquer dans la convention que le salarié "renonce à toute contestation des conditions et de la rupture de son contrat de travail". Sur cette base, la Cour d'appel avait débouté le salarié de sa demande de rappel de salaires. A tort dit la Cour de cassation, la phrase n'est que bluff et ne peut priver le salarié du droit d'aller en justice.

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Fragonard - Blind man's bluff (colin-maillard) - 1751

Le problème est que le bluff est identique lorsqu'une telle phrase figure dans une transaction. De manière régulière, les juges acceptent des demandes de salariés qui ont conclu des transactions comportant une clause qui précise que "revêtue de l'autorité de la chose jugée, la présente transaction interdit au salarié de saisir les tribunaux pour tout différend né ou à naître relatif à l'exécution ou à la rupture du contrat de travail". Comme dirait Jacques Chirac, ces clauses juridiquement tournées n'engagent que ceux qui y croient. Bluff ou droit psychologique, au choix, et dans tous les cas ignorance, on y croit pas trop, ou mauvaise foi du rédacteur. En effet, la Cour de cassation juge de manière constante que la transaction et ses effets sont limités au règlement des litiges qu'ils listent. De ce fait, un salarié peut saisir le juge pour faire valoir ses droits relatifs à des souscriptions d'action même s'il a signé une transaction comportant la mention "les parties renoncent de la manière la plus expresse à formuler toute réclamation que ce soit pour quelque cause que ce soit" (Cass. soc., 8 décembre 2009). Raté. Ou encore, la Cour suprême a permis à un salarié ayant transigé sur la rupture de son contrat en reconnaissant dans la transaction n'avoir plus aucun litige d'aucune nature lié à l'exécution ou à la rupture du  contrat de travail, de réclamer un complément d'indemnité conventionnelle de licenciement (Cass. soc., 2 décembre 2009). Encore raté. Et l'on pourrait multiplier les exemples.

Le principe est pourtant simple : il n'existe pas de clause valide qui sécurise totalement l'entreprise contre un recours du salarié. Après une rupture conventionnelle, le salarié peut saisir le juge pour des heures supplémentaires ou du harcèlement, mais il peut également le faire après une transaction indemnisant la rupture du contrat de travail. Le désistement total d'instance est trop chose trop grave pour qu'on l'accepte sans modération, et puis manifestement les juges n'aiment pas le bluff. Peut être, par contre, aimeraient-ils jouer à colin-maillard chez Fragonard, et en l'espèce ils le méritent bien.

19/12/2010

Exception culturelle

La France est le pays de Descartes, donc celui de la raison. Cette affirmation se vérifie devant les tribunaux chez qui la colère a mauvaise presse et l'insulte plus encore. Lorsqu'un salarié insulte son responsable ou un collègue, le juge considère systématiquement que le licenciement est justifié. Pas la peine d'argumenter que ce type d'insulte est courant dans le milieu, que l'on est en France et qu'un peu de gauloiserie n'est pas grave, ni même d'invoquer Nougaro ("on se traite de con à peine qu'on se traite..."), l'insulte est un comportement grave qui doit être sanctionné comme tel. L'insulte est d'ailleurs un comportement qui, si elle est répétée, constitue un fait de harcèlement. Rappelons nous que devant Salomon, ce n'est pas la mère qui crie sa colère à qui l'on donne raison mais celle qui garde son calme et propose de donner l'enfant pour qu'il soit sauvé. La colère est mauvaise conseillère, on connaît le proverbe ou, comme le dit Montaigne : "Il n'est passion qui ébranle tant la sincérité des jugements comme la colère".

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Nicolas Poussin - Le jugement de Salomon - 1649

Et puisqu'il est question de Montaigne, remarquons que 50 ans avant le "Vérité en deça des Pyrénées, erreur au-delà" de Pascal, il avait déjà fait le constat que les lois s'accordaient aux moeurs et aux lieux : "Quelle vérité est-ce que ces montagnes bordent, mensonge au monde qui se tient au-delà ?". Le tribunal supérieur de Madrid, après celui de Catalogne en 2009 qui avait pris une position similaire, considère qu'en ce contexte de crise et de tension sur l'emploi, le fait de traiter son chef de "Hijo de puta" est certes répréhensible, mais pas au point de justifier un licenciement. De même, le tribunal supérieur d'Andalousie n'a pas validé le licenciement d'un salarié qui bouscule son patron car il craignait d'être licencié. Comportement à replacer dans le contexte économique dont les excès pourraient en justifier d'autres ? exception culturelle dans un pays latin où les relations humaines peuvent aussi rapidement monter en température qu'elles redeviendront cordiales par la suite ?

Ayons dans tous les cas une pensée pour le difficile métier de juger qui consiste à tracer des frontières stables entre les situations, ce qui ne peut qu'aboutir au final à une perception d'injustice. L'insulté pourra s'étonner de devoir continuer à travailler avec l'insulteur, le licencié pourra s'offusquer que l'on mette sur le même plan un emploi et un revenu et un échauffement sans lendemain et compréhensible. Notre perception serait-elle la même suivant que nous serions l'un ou l'autre, juge en deçà des Pyrénées ou juge au-delà ?

17/12/2010

Le prix du silence

Sur les 17 millions de salariés du secteur privé, environ 800 000 font l'objet d'un licenciement au cours d'une année. Soit un taux légèrement inférieur à 5%. Si l'on excepte les licenciements collectifs pour motif économique (soit une minorité puisque l'intégralité des licenciements économiques ne représente qu'un tiers du total, l'essentiel étant constitué de licenciements pour motifs personnels), tous les autres donnent lieu à un entretien préalable entre l'employeur et le salarié. Se pose alors la question de la conduite à tenir lors d'un tel entretien. La réponse est simple : le silence toujours, le questionnement parfois.

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Max Ernst - Les yeux du silence

La finalité de l'entretien obligatoire au licenciement est double : informer le salarié de manière directe sur son licenciement, mais la lettre de convocation n'exclut pas toujours l'effet de surprise, et d'autre part permettre au salarié de présenter ses arguments et éventuellement de faire changer l'entreprise de décision. Sauf que dans la très grande majorité des cas, lorsque l'entreprise a convoqué un salarié à un entretien préalable, elle sait déjà qu'elle va le licencier. A quoi sert alors de se défendre ? à rien si ce n'est fournir à l'entreprise l'occasion de tester ses arguments de licenciement et d'anticiper sur un éventuel contentieux en tenant compte dans  la lettre de licenciement des objections du salarié. Parfois, on constate que l'entreprise a modifié le motif invoqué, qui est différent dans la lettre de licenciement de celui invoqué lors de l'entretien. Le risque ? un mois de salaire maximum, à titre de procédure irrégulière, alors que le risque pour un licenciement injustifié est de 6 mois de salaire minimum lorsque le salarié a deux ans d'ancienneté.

On ne saurait trop conseiller à un salarié donc de ne pas faire de l'entretien un moment autre que technique et de réserver sa verve et ses arguments pour le contentieux à venir, si telle est son intention. Par contre, quelques questions obligeant l'entreprise à préciser les circonstances, faits, motifs et qui seraient notés par le conseiller du salarié permettraient éventuellement d'apporter des éléments de fait, au-delà de ceux invoqués dans la lettre de licenciement, susceptibles de nourrir le contentieux.

On l'aura compris, dans la majorité des cas, se défendre lors d'un entretien préalable est contreproductif, sauf si le salarié estime, et souhaite, que l'entreprise peut changer d'avis. Le cas n'est pas le plus fréquent, ce qui fait le prix du silence.

14/12/2010

De l'inconvénient d'avoir plusieurs chambres

Eric Rohmer avait choisi de compléter le titre de l'un de ses films, "Les nuits de la pleine lune", par un très moral proverbe champenois : "Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd la raison". Est-ce le fait d'avoir plusieurs chambres qui a fait perdre à la Cour de cassation le fil du raisonnement ? on peut le craindre en prenant connaissance d'une décision rendue le 9 décembre dernier. La deuxième chambre civile condamne un représentant du personnel a rembourser à la sécurité sociale les indemnités journalières perçues pendant un arrêt maladie. Motif ? le salarié a continué à exercer son mandat, certes en dehors de ses heures obligatoires de présence à domicile, mais la Cour a jugé que les heures de délégation, assimilées à du temps de travail effectif, constituaient une activité non autorisée et donc incompatible avec l'arrêt maladie. Surprise lorsque l'on sait que la Cour de cassation, mais la chambre sociale, a toujours jugé que la suspension du contrat, y compris la maladie, ne suspend pas le mandat. Et que la Cour de cassation toujours, mais la chambre criminelle, a déjà condamné pour délit d'entrave un employeur qui n'a pas convoqué un membre du comité d'entreprise à une réunion au motif qu'il était en arrêt maladie. Voici donc des chambres qui ne communiquent guère, ou plutôt qui ne se sentent pas liées par ce qu'il se passe dans la chambre d'à côté. Les juges ont trop de savoir vivre.

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Dorothea Tanning - La chambre d'amis

Plus exactement, chacun enfermé dans sa chambre juge à l'aune de son périmètre et se soucie peu de cohérence. A moins que le défaut de cohérence ne résulte plus naturellement de deux droits différents : le droit de la sécurité sociale et le droit du travail. En réalité, ce n'est pas la première fois qu'un tel conflit survient à propos de représentants du personnel qui exercent leur mandat pendant un arrêt maladie : le contentieux de droit du travail est favorable au salarié, pas celui de la sécurité sociale. Reprenons calmement :

1) L'arrêt maladie ne signifie pas que le salarié soit grabataire et doive s'abstenir de toute activité. Cela signifie simplement que l'état de santé est incompatible avec le travail, pas nécessairement avec tout travail. Une jambe cassée m'interdit de conduire un véhicule, pas de rédiger une chronique de droit du travail (je vais bien, merci, c'est un exemple).

2) Le mandat n'est pas lié au travail effectif. Il peut s'exercer pendant des temps de congés (congés payés, congé parental, etc.).

3) La question est plutôt celle du cumul d'indemnisation : peut-on cumuler des heures de délégation avec des indemnités journalières ? c'est ceci que censure la chambre civile et uniquement. Il ne faut donc pas conclure de la décision que les représentants du personnel ne peuvent exercer leur mandat pendant un arrêt maladie.

Que faire en pratique ? deux possibilités : ne pas rémunérer les heures de délégation au prétexte qu'elles ne peuvent être du temps de travail effectif étant incompatible avec l'arrêt maladie. Et le salarié conservera ses IJ. Le problème survient en cas d'accident du travail : c'était d'ailleurs le cas en l'espèce et la sécurité sociale refusa l'accident du travail. Deuxième solution : faire autoriser l'activité liée au mandat par le médecin traitant. Cela semble être la bonne solution. Dans une affaire jugé le 28 avril dernier, la chambre civile a rejeté le pourvoi (pour des raisons de forme certes) d'une caisse primaire contre la décision d'une Cour d'appel qui avait validé le fait qu'un salarié, à la fois musicien et enseignant, soit en arrêt de travail du fait d'une tendinite pour son activité de musicien mais poursuive ses activités d'enseignement dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique.

Et nous voilà donc conduits par le jeu cumulé des chambres, à demander aux médecins le droit de poursuivre, ou pas, l'exercice d'un mandat de représentation du personnel. Et que pense-t-on de cette solution dans les chambres ?

13/12/2010

Le harcèlement ne fait pas de fumée

Les clients s'en grillent une petite, puis une autre. Le patron laisse faire : l'ambiance et le confort de la clientèle n'ont pas de prix, pas même celui de la santé des salariés. Un barman s'en émeut et quitte l'entreprise avant de saisir le Conseil des prud'hommes, demandant la requalification de sa démission en rupture aux torts de l'employeur pour l'avoir exposé au risque de tabagisme passif. L'employeur se défend : un peu de fumée ne peut faire de mal, l'atteinte à la santé est inexistante et d'ailleurs les analyses fournies par le salarié ne montrent qu'un faible taux de nicotine dans le sang. Tout cela n'est donc que prétexte de la part d'un barman indélicat qui saisit grossièrement une occasion de taper juridiquement dans la caisse en partant. Le raisonnement du juge est souvent tortueux à l'instar des volutes de fumées : pour la Cour d'appel, en l'absence d'impact constaté sur la santé du salarié, le hold-up judiciaire n'aura pas lieu. Erreur affirme la Cour de cassation. La seule exposition au risque constitue une faute suffisante pour que le salarié rompe son contrat de travail et demande des dommages et intérêts, qu'il aura d'ailleurs la liberté de convertir en cartouches de cigarettes. Bashung l'avait prédit : vos luttes partent en fumée !

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La rigueur de la Cour suprême n'est que la conséquence de l'obligation de sécurité de résultat, inlassablement affirmée et développée depuis 2002 et les arrêts fondateurs concernant l'amiante. La force de cette jurisprudence donne quelques idées à ses plus fins connaisseurs. Un avocat quitte un cabinet dans lequel un responsable harcèle un de ses collègues. Ce climat de harcèlement l'expose à un risque qui le conduit à démissionner et à réclamer indemnisation du préjudice subi. Après le tabagisme passif, voici donc présenté au juge le harcèlement passif, ou l'altération de la santé par l'exposition aux fumées d'un harcèlement non directement subi. La Cour de cassation fait la leçon de droit à l'avocat : si peut être reconnue dans l'entreprise une organisation du travail harcelante, cela ne signifie pas pour autant que tous les salariés s'en trouvent harcelés par principe. Il est nécessaire d'établir un harcèlement directement subi (Cass. soc., 20 octobre 2010).

Ainsi partirent en fumée les prétentions de l'avocat qui ne put même pas, pour soulager son dépit, s'en griller une au café du coin.

03/12/2010

Femmes de...

C’est une histoire d’avant Monica Lewinski. Elle met en scène Hillary Clinton, retournant dans son village natal et s’arrêtant à une station service. Le pompiste, boyfriend des jeunes années, lui dit : « Tu te rends compte, si tu étais restée avec moi, on serait tous les deux dans cette station ! ». Et Hillary de répondre : « Si tu étais resté avec moi, tu serais Président des Etats-Unis ». Femme de ou Mari de ? l’actualité met sous les projecteurs, ou plutôt exactement retire de sous les projecteurs, les femmes de. Après Anne Sainclair et Béatrice Schonberg, Audrey Pulvar est interdite d’antenne, au moins pour les émissions politiques. Scandale ? machisme ? éthique ? conflit d’intérêt ? contentons nous ici de relever ce que dit le droit du travail en pareil cas.  

Mais avant, souvenons nous que Willem De Kooning est le mari d’Elaine de Kooning.

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Elaine De Kooning - Sunday Afternoon - 1957

Le principe est simple : la situation de famille ne peut être prise en compte pour prendre des décisions à l’encontre d’un salarié. Cette règle figure à la fois dans l’article L. 1132-1 relatif aux discriminations et dans l’article L. 1142-1 relatif à l’égalité professionnelle hommes-femmes.

A tout principe son exception. L’article L. 1133-1 prévoit que des différences de traitement qui répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante sont possibles dès lors que l’objectif est légitime et l’exigence proportionnée. Résultant de la loi du 27 mai 2008, cette large ouverture à la dérogation, puisque visant potentiellement les 15 motifs de discrimination listés par le Code du travail, pose de redoutables problèmes d'interprétation, le législateur n'ayant donné aucune indication sur ce que pouvait recouvrer la notion d'exigence professionnelle essentielle (EPE pour les juristes avertis ignares en nucléaire). Est-ce une exigence essentielle de la profession de journaliste de ne pas avoir comme compagne, ou compagnon, une femme ou un homme politique ? on mesure la voie douteuse dans laquelle nous engage la réponse à cette question : l’incompatibilité concerne-t-elle la relation suivie ou l’escapade d’un soir ? la relation amicale et la passion furieusement sexuelle doivent être traités pareillement ? prendre un verre sans objectif professionnel d’interview est-il un acte déontologiquement répréhensible ? et l’on s’aperçoit que la notion d’exigence professionnelle essentielle est bien délicate à définir, sauf à rouvrir une police des mœurs et généraliser, mais peut être est-ce déjà le cas, les écoutes téléphoniques et autres traçages internautiens.

Qu’en penserait Max Ernst, vous savez le mari de Dorothea Tanning ?

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Dorothea Tanning - Chambre 202

Décision hasardeuse et codification peu heureuse, voilà qui laisse la place à bien des débats. A propos de laisser la place, l’émission d’Audrey Pulvar sur I-Télé a été remplacée par une émission dont le titre est « L’info sans interdit ». Et ce n’est pas une blague.